[SeqFan] Leibniz and Binary Arithmetic. Couturat continues (in French).

Antti Karttunen Antti.Karttunen at iki.fi
Fri Jan 9 02:10:46 CET 2004


 
The sections #3 and #4 (concerning "progressions") are
probably of the most interest, reminding us also of the 
dangers of the solely experimental approach. Indeed,
I think, had Leibniz looked into the matter deeper
(and tried various other bases than just 2),
he had invented the modular arithmetic and
the laws of congruence.
 
 

  Excerpt from pp. 473-478 of:
 
                      Louis Couturat (1868-1914)
                        La Logique de Leibniz.
           Georg Olms Verlagsbuchhandlung, Hildesheim, 1961.
 
     (Unveränderter reprografischer Nachdruck der Ausgabe Paris 1901.)
 
 
                            APPENDICE III

             SUR QUELQUES INVENTIONS MATHÉMATIQUES DE LEIBNIZ
                          QUI SE RAPPORTENT
                A LA COMBINATOIRE ET A LA CARACTÉRISTIQUE


  #1. Parmi les inventions mathématiques de Leibniz qui procèdent
  de sa Caractéristique, nous avons déjà eu l'occasion de citer:
  1° son Calcul infinitésimal, dont il ne sera pas question ici,
  et dont l'histoire est définitivement éclaircie; 2° sa Méthode de
  l'Universalité, conçue en 1674 à Paris, et exposée dans un opuscule
  encore inédit; son Arithmétique dyadique ou sa numération binaire.
  Il importe de donner un peu plus de détails sur celle-ci.
    On a vue que Leibniz avait été amené à cette invention par
  la recherche d'une notation aussi claire et aussi adéquate que
  possible pour les nombres. Elle lui avait été probablement suggérée
  par la Tetractys de son ancien maître Weigel, publiée en 1673.
  Leibniz n'approuvait pas ce système de numération à base 4, qui
  n'avait aucune raison d'être. Il pensait que, si l'on voulait
  abréger les calculs et condenser la numération dans la pratique,
  il valait mieux choisir une base supérieure à 10, comme 12 ou 16;
  mais que, si l'on voulait obtenir une représentation théorique des
  nombres, il fallait adopter la base 2, parce que c'est le système
  de numération qui réduit les nombres à leur expression la plus
  simple et la plus analytique. Elle permettait de représenter
  tous les nombres avec 2 chiffres seulement, 0 et 1, et elle
  ramenait la multiplication à l'addition, la table de Pythagore
  se trouvant réduite à: 1 x 1 = 1. Par suite, elle permettait
  de démontrer les produits de la table de Pythagore ordinaire
  (dans la numération décimale), au lieu de les poser comme des
  faits primitifs qu'on doit apprendre par coeur.

  #2. Leibniz se plaisait à donner à ce système une signification
  métaphysique, et à y voir le symbole de la création ex nihilo.
  C'est ainsi du moins qu'il le présentait au duc Rodolphe-Auguste
  de Brunswick-Wolfenbüttel en 1697, en lui proposant le modèle
  d'une médaille portant l'exergue : IMAGO CREATIONIS, et la devise :
  OMNIBUS EX NIHILO DUCENDIS SUFFICIT UNUM.
    D'autre part, Leibniz croyait avoir trouvé par sa numération
  binaire l'interprétation des caractères de Fo-Hi, symboles chinois
  mystérieux et d'une haute antiquité, dont les missionnaires
  européens et les Chinois eux-mêmes ne connaissaient pas le sens.
  C'etaient 64 combinaisons de traits pleins et rompus (correspondant
  respectivement à 0 et à 1) rangées précisément dans l'ordre naturel
  des nombres supposés écrits dans le système binaire. Il proposait
  d'employer cette interprétation à la propagation de la foi en
  Chine, attendu qu'elle était propre à donner aux Chinois une
  haute idée de la science européenne, et à montrer l'accord de
  celle-ci avec les traditions vénérables et sacrées de la sagesse
  chinoise. Il joignit cette interprétation à l'exposé de son
  Arithmétique binaire qu'il envoya à l'Académie des Sciences de
  Paris.

  #3. Mais le principal usage que Leibniz voulait faire de la
  numération binaire était son application à la découverte des
  propriétés des nombres [Une de ces propriétés résulte immédiatement
  du fait même de la numération binaire : c'est que tout nombre pair est
  décomposable (et cela d'une seule manière) en une somme de
  puissances de 2 prises chacune une seule fois (Lettre de Jean
  Bernoulli, 7 mai 1701, Math., III, 667). Il en résulte cette
  application pratique, qu'on peut effectuer toutes les pesées
  avec une série de poids formant une progression géométrique de
  raison 2 (1, 2, 4, 8, 16, ...). On sait que c'est le système de
  mesure qui emploie le plus petit nombre de poids.
  Voir Lettre à Schulenburg, 17 mai 1698 (Math., VII, 242).]
  En effet, en fournissant l'expression la plus simple des nombres,
  elle devait révéler des propriétés qui seraient moins manifestes
  dans tout autre système. Leibniz espérait surtout découvrir ces
  propriétés périodiques qu'il appelait des harmonies ou des progressions.
  Pour étudier une série de nombres, il rangeait ces nombres, exprimés
  dans le système binare, et complétés à gauche par des zéros,
  les uns au-dessous des autres, et cherchait à démêler la
  périodicité des chiffres dans les colonnes verticales.
    Pour la suite naturelle des nombres, la périodicité est évidente :
  on a dans la 1re colonne (à droite) la période 01; dans la 2e,
  la période 0011; dans la 3e, la période 0000 1111; dans la 4e,
  la période 0000 0000 1111 1111, et ainsi de suite en doublant
  chaque fois le nombre des 0 et des 1. En général, la période de
  la n^e colonne se compose de 2^(n-1) zéros suivis de 2^(n-1) unités.
  On trouve des périodes analogues pour la série des nombres impairs
  et pour celles des multiples successifs d'un même nombre.
  Par exemple, les multiples de 3 offrent dans la 1re colonne la
  période 01, dans la 2e la période 0110, dans la 3e la période
  0010 1101, dans la 4e la période 0001110011100011, et ainsi de
  suite. Leibniz remarque que chacune de ces périodes se compose
  de deux moitiés telles, qu'aux zéros de l'une correspondent les
  unités de l'autre, et inversement, de sorte que les zéros et les
  unités sont toujours en nombre égal dans la période totale.
  Il constate une périodicité semblable dans les suites des nombres
  figurés (triangulaires, pyramidaux, etc.), dans les progressions
  géométriques, et enfin dans les suites de puissances semblables
  (carrés, cubes, etc.). Il y a plus : la même périodicité se
  retrouve dans les sommes de puissances semblables, et par
  conséquent, d'une manière générale, dans les fonctions algébriques
  des nombres entiers successifs. Seulement, comme cela demande
  d'assez long calculs, il cherchait une auxiliaire, notamment à
  Paris, et il demandait à Jean Bernoulli de lui en procurer un.
  Celui-ci ne comprit pas tout de suite l'invention de Leibniz,
  et ne remarqua pas la périodicité en question. Il en fut de même
  de Jacques Bernoulli, lorsque Leibniz lui soumit les mêmes idées.
  Il contestait la périodicité pour les suites de puissances, et
  dans la suite des carrés n'apercevait que la périodicité des
  3 premières colonnes, alors que les autres colonnes présentaient
  aussi des périodes, seulement plus longues. Sans doute, la même
  périodicité se trouvait dans la numération décimale; mais les
  périodes y sont beacoup plus longues, et par suite plus difficiles
  à decouvrir. [En effect, les périodes des colonnes successives
  (en partant de la droite) comprennent en général 10, 100, 1000 ...
  chiffres dans le système décimal, au lieu de 2, 4, 8 ... chiffres
  dans le système binaire. Lettre à Jean Bernoulli, 16 mai 1701
  (Math., III, 670). Cf. Lettre à Hermann, 2 juil. 1705 (Math., IV, 280).
  Par exemple, pour les nombres carrés, les chiffres des unités
  forment la période : 1, 4, 9, 6, 5, 6, 9, 4, 1, 0 (=  A008959, - AK)
  (de dix chiffres), tandis que dans la numération binaire
  la période est 1,0 (de deux chiffres).]

  #4. En revanche, il est un point où Leibniz se trompait, et où ses
  contradicteurs avaient raison : c'est lorsqu'il croyait pouvoir
  trouver des périodes dans les chiffres bimaux [Chiffres « décimaux »
  dans le système binaire.] des nombres transcendants, sous
  prétexte qu'ils s'expriment par des séries de puissances entières.
  En particulier, il espérait trouver une pareille périodicité
  pour pi, et comme Hermann avait entrepris de calculer ce nombre
  par la méthode de Ludolphe, il lui conseillait d'employer à cet
  effet la numération binaire, dans l'espoir qu'il découvrirait
  la loi de succession de ses chiffres bimaux. Malgré les objections
  de Jacques Bernoulli (que se trouvaient fausses dans le cas des
  puissances), Leibniz persistait à croire qu'on pourrait, avec de
  la patience, trouver une lois de progression régulière dans
  l'expression bimale des nombres irrationnels et même transcendants.
  Il ne se rendait pas compte que, si ces nombres avaient des
  chiffres bimaux (ou décimaux) périodiques, ils seraient par là
  même rationnels (égaux à une fraction).
    Quoi qu'il en soit, cette erreur provenait (comme ses découvertes
  les plus heureuses) de la tendance constante de son esprit à
  retrouver partout de l'ordre et de l'harmonie. Il cherchait surtout
  des lois de progression, parce qu'elles mènent à l'infini, et
  qu'elles permettent de condenser une série infinie dans une seule
  formule ou définition [Dans son Arithmétique binaire, il parle
  « d'aller à l'infini par règle » (Math., VII, 226).]
  Il rappelait à ce propos son grand principe de l'ordre ou
  de continuité :  « Ubicunque principia sunt ordinata, omnia etiam
  derivata ordinate progredi » [Lettre à Schulenburg, 17 mai 1698
  (Math., VII, 240). Ce principe profond a été brillamment vérifié
  dans ce siècle par les théories de l'Acoustique et de l'Optique :
  on a trouvé qu'un nombre quelconque de mouvements périodiques
  (vibrations) se composent en un seul mouvement également périodique.
  Ce fait se traduit mathématiquement par les curieuses propriétés
  des séries trigonométriques : une fonction quelconque peut
  s'exprimer par une série de fonctions trigonométriques
  (périodiques), c'est-à-dire d'oscillations sinusoïdales].
  Son seul tort était de chercher l'ordre même là où il n'y
  en a pas et ne peut pas y en avoir, comme dans les décimales
  de pi, ou encore dans les nombres premiers. En effet, comme
  il avait remarqué que les multiples de chaque nombre s'échelonnent
  à intervalles égaux dans la suite naturelle des nombres, il
  espérait découvrir par là entre les nombres premiers quelque ordre
  ou périodicité qui fournirait leur définition général et leur loi
  de formation ou de succession. Il comptait y parvenir, soit en
  employant la numération binaire, propre à mettre en évidence la
  périodicité supposée, soit en construisant une figure qui
  représentait les rapports de divisibilité des nombres entiers
  deux à deux.
    [Essay d'une nouvelle science des nombres (Math., III, B, 3 a).
  Leibniz y a construit la table des nombres premiers, exprimés dans
  le système binaire, et a inscrit à côté cette remarque :
  « primitivi carent periodis. »]
  [Math., IV, 17 : Numeri primi eorumque genesis mira (6-7 sept. 1677);
  Figure Numerorum ordine dispositorum et punctatorum, ut appareant
  qui Multipli, qui Primitivi, où Leibniz a noté l'ordre (non
  périodique, naturellement) des nombres premiers et non premiers
  jusqu'à 119; Ouverture nouvelle des Nombres multiples et des
  diviseurs des puissances (3 janv. 1676). La figure en question
  se trouve Math., IV, 11. Elle ressemble à celle que donne Schröder,
  Algebra der Logik, t. III, p. 45.]
    Ces tentatives, nécessairement infructueuses, ne sont pourtant
  pas à dédaigner, car c'est en cherchant une définition générale
  des nombres premiers que Leibniz a découvert la démonstration du
  théorème de Fermat, dont nour aurons à parler plus loin (# 20).
  D'autre part, il appliqua avec succés la numération binaire à
  la solution des problèmes d'Arithmétique dits de Diophante.
  [Diophantea seu Arithmetica figurata, absoluta methodo dyadica
  (Math., III, A, 16); cf. Methodus diophantea analytica nunc
  tandem reperta (Math., III, A, 29); De absolvendo calculo
  diophanteo, 29 nov. 1678 (Math., III, A, 30);
  « Pro absolvendis Diophanteis... » 8 mars 1683 (Math., IV, 4 c).]

  Math. = Leibnizens mathematische Schriften, ed. Gerhardt, 7 vol.
          (Berlin-Halle, 1849-1863).










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